Le 13 janvier 2005, par Lézard Vert,
Un jour, j’ai décidé d’ouvrir une boîte aux lettres qui ne devait pas l’être. Quelque chose d’étrange s’est alors produit.
Dans mon ancien immeuble, il y avait une grande boîte pour les colis, dont personne ne se servait jamais puisque les colis qui ne rentrent pas dans les boîtes individuelles doivent être délivrés en main propre. Les prospectus s’y accumulaient. Or je pousse parfois la "maniaquerie" qui me caractérise jusqu’à faire le ménage dans des lieux qui ne m’appartiennent pas vraiment.
Un jour, en fin d’après-midi, en rentrant chez moi, je décidai d’ouvrir cette boîte et de jeter les publicités qui devaient s’y trouver.
A ma grande surprise, je tombe sur un épais agenda. Il était plein de feuilles pliées et surtout, de chèques bancaires ! Sur les pages elles-mêmes, des noms et des adresses, des montants, des additions. Je suis profondément intrigué. Pour ne pas passer pour un voleur, je monte dans mon studio pour examiner l’objet discrètement.
Inutile de dire que je me sens dans la peau d’Amélie Poulain découvrant la boîte en fer-blanc derrière un mur.
Plusieurs idées me viennent. De toute façon, je me dis que cet agenda doit revenir à son propriétaire, dont j’imagine déjà la joie. Je me dis qu’il faut peut-être que je l’apporte au commissariat : je me vois déjà impliqué dans une enquête policière passionnante.
Puis je trouve des tampons sur les chèques, avec le nom d’une entreprise de produits bios. Je préfère alors l’idée d’aller rendre l’agenda en main propre, pour savourer la réaction de celui à qui il manquait. Sur le tampon, il y a une adresse. C’est à cinq cents mètres de chez moi. Je pars...
En me rapprochant du numéro d’immeuble indiqué, je reconnais une boutique devant laquelle j’étais passé de nombreuses fois, sur le chemin de ma station de métro. Un tout petit magasin d’aliments bios !
J’entre, au moment où une cliente sort, en pleine discussion avec la patronne. Celle-ci est une petite dame brune, assez âgée, à l’accent pied-noir. Je lui montre l’agenda et lui explique que je l’ai trouvé.
D’abord sa réaction me vexe :
« Pourquoi vous avez ça, vous ?! »
Je réexplique, sans un mot de plus, en prenant un ton assez froid. Après quelques phrases échangées, elle finit par me faire confiance. Elle soupire :
« Je suis très émue, vous savez ! J’ai perdu plus d’un million... » Elle parle d’anciens francs.
« Ca me fait vraiment bizarre. J’en ai même la tête qui tourne. »
La vieille dame me prend la main pour que je voie que les siennes sont glacées.
Puis elle raconte petit à petit. Je comprends qu’un ancien employé à elle est entré, un jour, par l’arrière-salle, et a volé l’agenda contenant tous les chèques non encaissés, sans qu’elle s’en rende compte. Avec de l’argent liquide.
« Vous avez porté plainte ? »
« Non, je peux pas ! » dit-elle d’une voix un peu plus basse.
Je comprendrai seulement plus tard qu’elle payait son employé au noir, comme cela arrive souvent.
Elle est pleine de reconnaissance, tout en gardant son expression revèche. D’abord elle veut me donner "un petit billet". Puis comme je refuse, gêné, elle m’invite à me servir dans sa boutique. J’opte pour un simple sachet de raisins secs. Elle y rajoute plusieurs autres sachets de fruits secs, des pommes (bios !) et des tablettes de chocolat noir. Et un bocal de bonbons au miel.
Puis elle me demande ce que je fais de ma vie. Je suis étudiant. Ne voudrais-je pas travailler un peu pour elle ? Pour me faire un peu d’argent ?
Tout d’un coup, j’ai l’impression de m’être fait une amie pour la vie. Elle me donne la carte de sa boutique, m’indique son prénom. Me demande de passer la voir, si je veux travailler. Elle me dit même, quand nous nous serrons la main, que j’ai les mains moites et qu’à mon âge, c’est mauvais signe. C’est signe de nervosité. Je dois revenir, elle me donnera des produits qui me soigneront ça.
Je finis par repartir. Avec le sentiment que je n’ai pas perdu ma journée.