Le 31 octobre 2008, par Lézard Vert,
La nouvelle génération pense souvent avoir tout inventé. Elle a souvent tort...
C’est la récréation du jeudi après-midi, où je suis de service avec ma collègue C... (de CE2). C’est le mois de septembre. L’année a commencé depuis peu. Nous sommes dans une nouvelle école, elle vient tout juste d’être reconstruite. Je suis moi-même nouveau. La directrice est nouvelle. Il existe un noyau dur de collègues, des habitués très sympas.
Mais cette directrice, pour en revenir à elle, pense qu’il faut commencer l’année en étant très sévère avec tous les "caïds" de l’école, pour les empêcher de prendre leurs vilaines habitudes. Je suis tout à fait d’accord et c’est assez encourageant qu’elle affiche une telle attitude. C’est rassurant pour nous autres enseignants.
Un gamin de CM2 en embête un autre, en lui disant lourdement qu’il est amoureux d’une telle. Celui qu’on embête (CM2 aussi, un gros garçon costaud, un métis) vient me voir en pleurant. J’appelle son tourmenteur, je lui dis de venir me voir pour lui remonter les bretelles.
Le voilà. C’est un garçon avec la même physionomie que le premier, répondant au prénom très original de Dy... (5 lettres - je vous laisse deviner la fin - ils ne sont que 1 850 000 de sa génération à s’appeler ainsi).
Je commence à lui demander pourquoi il a fait ça. Et alors, à ce moment...
Il me tipe.
Petite parenthèse sur la notion de "tipage" (du verbe "tiper", 1er groupe). Tiper quelqu’un, c’est faire un petit bruit de bouche discret avec sa lèvre supérieure, qui signifie grosso modo "va te faire f...", ou pour être plus correct sur l’étymologie, "va n... ta m...".
Réalisez déjà qu’un enfant peut, ici, trouver envisageable d’exprimer une chose pareille à un adulte.
(Quand j’étais gamin, pour ma part, faire une chose pareille, cela voulait dire ouvrir une faille dans le sol me précipitant directement dans les flammes de l’enfer. Cela dit, j’étais un élève très très sage.)
Tous les élèves de cette école ne le feraient pas, loin de là. Ils ne sont que quelques-uns à oser. Mais lui l’a fait.
A sa décharge, il pense que je ne connais pas la signification de ce code. Manque de pot, je la connais. Grâce à une collègue, justement, qui avait découvert l’acte de "tiper" l’année dernière pendant un stage en CE2 au Val Fourré.
Donc je commence un peu en colère, mais en restant soft dans mes actes. Je l’engueule juste : "Qu’est-ce que c’est que ce petit bruit ? Tu crois que ne sais pas ce que ça veut dire ? Je vais te dire deux mots à la fin de la récréation !"
Puis je me ravise, après avoir demandé son avis à ma collègue. Je pense que je n’ai pas été assez sévère : après un truc pareil, il faut voir les parents directement. J’hésitais car je n’ose pas trop prendre des mesures aussi franches.
Mais bon, je le fais : je le rappelle à la fin de la récré. Là déjà il s’est transformé : "oui maître", "d’accord maître". Ses copains ont dû le mettre en garde, car j’ai déjà (seulement 5 jours après la rentrée) laissé des souvenirs pénibles à une élève très insolente de ma classe, qui est dans la même bande.
Puis je l’envoie dans le bureau de la directrice.
Qui lui en remet une couche.
Elle me l’amène en classe, plus tard, alors que je suis en train de m’occuper de mes élèves. Il est en pleurs. Il doit s’excuser devant moi.
Elle a aussi écrit une tartine dans son cahier de liaison. Elle a joint le père au téléphone, qui n’avait pas l’air satisfait du tout de son enfant.
A 16h30, sachant cela, D... quitte l’école en pleurant toujours. Ses deux copines qui le voient partir, dont la petite caïd de ma classe, sont impressionnées.
Le lendemain il revient à l’école... et depuis, il montre un respect infini pour moi. Il ajoute toujours "maître" à la fin de ses phrases. Il s’écarte sur mon passage quand il me voit dans le couloir. En gros, grâce à son "tipage", nous sommes devenus les meilleurs amis du monde.