Première lettre des abysses
Lyon le dimanche 7 Novembre 2010
Cher monsieur Masurel,
C’est avec grand plaisir que je vous adresse ce courrier. Vous m’avez été recommandé par Marc Foucher comme étant un membre de la fondation à l’esprit ouvert et prêt à dialoguer sur des sujets qui sortiraient comme qui dirait des sentiers battus !
Je suis pour ma part rédacteur et webmestre à Lyon. J’anime le site Internet d’un magazine d’actualité, alors autant vous dire que si quelqu’un est littéralement fixé toute la journée devant l’écran, c’est bien moi ! Et sachez que cela me fait un bien fou de tout simplement pouvoir coucher mes réflexions et de m’adresser à vous… Sur le papier. Il s’agit pour moi de prendre un peu de recul avec toute cette masse d’information dans laquelle je suis quotidiennement plongé. Mais c’est un effort difficile, car je me déconnecte difficilement du réseau mondial, je ressens comme une impulsion quasi permanente à vouloir savoir ce qu’il s’est passé “en ligne” durant la moindre de mes absences ! Mais comment pouvons-nous prétendre suivre toutes ces informations avec le peu de temps que nous avons, nous misérables êtres humains, mortels et débordés !
Parfois, écrasé de fatigue et les yeux mis clos, je me dis que ce n’est pas moi qui viens de passer trois heures de ma nuit à surfer sur Internet, mais plutôt que c’est bien l’information elle-même qui vient de passer tout ce temps à se repaître de mon cerveau… Je suis alors saturé, plein comme un œuf et je n’ai plus qu’à aller me coucher… Et pendant que je sombre dans les bras de Morphée, ces petites particules d’informations continuent de tourner dans ma tête ; elles se fraient un chemin dans les méandres de mon esprit et se disputent la meilleure place au panthéon de mon subconscient…
Oui, j’ai bien besoin de prendre du recul vis-à-vis de ce flux d’information dans lequel je suis constamment baigné, pour ne pas dire noyé…
Connaissez-vous la mémétique, cher monsieur Masurel ? C’est une théorie fascinante qui considère que l’information est une forme de vie : une forme non intelligente peut-être, mais belle et bien vivante ! Au même titre que les cellules, les virus ou l’argile (!), l’information réduite à sa plus simple expression, nommée “mème” (sans accent circonflexe), est capable de s’auto-répliquer sans véritable intervention extérieure… Oui, cela fait d’elle un être vivant ! Et que fait tout être vivant de la manière la plus instinctive ? il cherche à se reproduire bien sûr !!
Voici la source des mythes, des contes et de toutes les histoires ! Des langues et des cultures ! De simples créatures informationnelles qui luttent entre elles pour survivre, pour se répliquer à travers nous et nos merveilleux moyens de communication !
Cher Monsieur Masurel, j’espère que je ne vous semble pas trop irrationnel, mais je réfléchis beaucoup à la question de la mémétique ces derniers temps et à ce qu’implique l’existence d’une forme de vie inhumaine qui nous utiliserait comme de simples marionnettes… Je ne saurai que vous conseiller le très intéressant ouvrage de Pascal Jouxtel sur le sujet : “Comment les systèmes pondent, une introduction à la mémétique”, aux éditions du pommier.
Je me demande vraiment ce qu’il pourrait advenir de nous si quelqu’un (ou quelque chose) utilisait à ses fins l’incroyable viralité des réseaux numériques, ces médias de masse qui propagent aujourd’hui les mèmes en temps réel et en continu à l’échelle mondiale.
Je lis actuellement “Totalement inhumaine”, l’ouvrage de Jean-Michel Truong, que d’aucun qualifieront de pamphlet, mais qu’il vaudrait mieux selon moi considérer très sérieusement : on y parle en substance de ce qui pousse l’humanité à utiliser – bien malgré elle, tous les moyens à sa disposition pour mettre en place l’avènement du Successeur, son propre successeur : une forme de vie intelligente et à même de pouvoir survivre au cataclysme qui attend la terre et toute la galaxie lorsque s’éteindra notre soleil : oui, l’intelligence doit pouvoir s’incarner dans autre chose que notre fragile enveloppe humaine… Oui je pense à l’incroyable accélération des technosciences ces dernières décennies, à la convergence des NBIC : les technologies informatiques, les nanotechnologies, les biotechnologies et les sciences cognitives ! Mais à quelle aberrante singularité tout cela va-il nous mener ?
Monsieur Masurel, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour tenter de comprendre… Mais en attendant, je dois continuer mon quotidien comme si de rien n’était, entouré d’un flux ininterrompu d’information auquel je ne me sens pas vraiment le courage d’échapper : de toute façon, si je me déconnecte du Net, il restera toujours la télé, la radio, les magazines, la publicité dans le métro…
Je me sens apaisé d’avoir couché tout cela sur le papier et j’espère sincèrement monsieur Masurel, que vous ne vous sentirez pas effrayé par mes réflexions et que nous entamerons alors une correspondance que je souhaites des plus fructueuses.
Sincèrement votre, Gabriel Zéta
assez angoissant je trouve. A la place de ton interlocuteur, j’aurais trippé.
Et Le pire est à venir ;))