22 anecdotes ébouriffantes

« Les gens ne se parlent plus »

Le 20 mars 2003, par gabzéta, Lyon

Assis dans l’herbe à côté de Bellecour, j’ai un petit peu de temps devant moi. Je sors un livre, il fait beau, les gens sont dehors. Je regarde une scène de ménage au loin.

Le gars n’a pas l’air commode. Il doit lui gueuler dessus à 3 cm du visage. Elle lui répond, semble-t’il. Bon j’essaye de me plonger dans « L’utopie de la communication », mais mon regard revient irrésistiblement vers eux…

 « Je peux m’asseoir à côté de vous ? »

Hein ? quoi ? Je n’ai pas vu venir ce jeune type au p’tit look de dandy volontairement négligé. Il s’asseoit. Je me méfie spontanément.

 « Les gens ne se parlent plus, ils sont là, ils s’ignorent. Moi je voudrais juste discuter un peu. » (arg, un déprimé) « Oui, mais là c’est que, euh, je suis entrain de lire… » (Il a l’air décu) « Enfin, pourquoi pas ? »

 « Je m’appelle Bidule (j’ai oublié), je suis en terminale, j’attends pour un cours de Maths, alors voila je passe le temps ». (Arg, un djeûn à quelques mois du bac. Je veux bien jouer le jeu, mais ca va être dur d’avoir l’air interessé, là quand même). Il tente d’aborder divers sujet, pour me cerner ou un truc du genre.

 « Quel âge vous avez ? »

(bon, on peut se tutoyer, tu sais)

 « Tu fais quoi dans la vie ? du travail ? des passions ? Tu fumes ? Et la musique ? (Pfff. Je réponds mollement, mais je ne peux pas m’empêcher de porter mon attention sur la scène de ménage qui continue de plus belle. Elle a profité qu’il allait taxer une clope pour partir téléphoner, alors il lui cours après et entre dans la cabine avec elle !)

 « Ah ! Et pourquoi tu es parti de Paris ? »

douliloulililouli Oh ! mon portable… Sauvé par le gong. En attendant je lui refile mon bouquin à feuilleter.

C’est mademoiselle O. Elle me parle en anglais, alors je lui réponds pareil, ca donne un p’tit style. Cool ! Elle arrive, elle va passer dans 5 minutes.

Je raccroche et j’essaye d’entamer un dialogue autour de cet excellent petit ouvrage sur le mythe du « village planétaire » [1], mais sans grand succès, il trouve que ca a l’air compliqué. J’insiste pas. Il veut que je parle de mes études… (C’est dingue cette histoire ! Ils sont encore dans cette cabine téléphonique là-bas ? Ca craint…)

 « Moi je voudrais faire de la Psycho à la fac, c’est pas forcement sûr comme voie, mais là, je me sens étouffé dans mon bahut privé. »(Ah bah voila ! ils se décident à en sortir de cette cabine. Lui, il part d’un côté, elle de l’autre et puis hop ! Ca y est il lui court encore après ! Ah ben tiens, ils tournent au coin de la rue. Bôa, comme ça, je vais pouvoir me concentrer sur ce que me dit l’autre… Oh ! Voila mademoiselle O. qui vient de tourner au coin de la rue !)

Elle arrive. C’est l’heure de cesser la conversation.

 « On pourrait peut-être se serrer la main ? Tu vois que c’était pas si mal de se parler un peu comme ça… » (Il me souhaite le bonjour, je ne lui souhaite pas un bon cours de maths. je compatis quand même, j’ai eu 4/20 à l’époque…)

Notes :

[1] L’utopie de la communication, par philippe Breton. Ed. La découverte/poche essais. 7 euros. 169p. « Pourquoi la communication a-t-elle pris autant de place dans nos sociétés modernes ? Est-ce seulement à cause de la prolifération des téléviseurs et autres « machines à communiquer » ? Dans cet essai, Philippe Breton affirme qu’on ne peut se satisfaire de cette explication triviale et avance une thèse beaucoup plus radicale : la communication est devenue une nouvelle utopie, d’autant plus conquérante que les grandes idéologies sont en crise. Cette utopie est celle d’un « Homme sans intérieur », réduit à sa seule image, dans une société rendue « transparente » par la grâce de la communication… » Si j’ai le courage, je vous ferais une fiche de lecture…

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